L'entrée à Dresde

Depuis trois heures déjà, la Trabant cahote sur l'autoroute enneigée. La radio ne fonctionne plus et vous vous voyez mal taper la conversation à un mortel. Après tout, ce qu'il a mangé ce soir ne vous intéresse pas, et ce que vous comptez manger ce soir risque de le mettre dans un état pas croyable. Encore heureux que le mois de février offre toujours de longues nuits, sinon vous vous seriez fait du soucis quant à la possibilité de rejoindre la ville et d'y trouver un refuge avant le lever du jour. Le déménagement en tant que Vampire est toujours un problème, parfois, vous vous surprenez même à envier ces mortels qui peuvent voyager de jour comme de nuit, passer un simple coup de téléphone et réserver une chambre d'hôtel ou trouver un canapé libre chez un ami...

Non seulement, déménager c'est compliqué, mais passer une frontière qui a été fermée pendant des années, c'est encore pire. Vous avez entendu beaucoup de rumeurs sur Dresde, celle que l'on nomme la Florence de l'Elbe, dont la réputation vient même parfois faire de l'ombre à Berlin. De Paris à Londres on a vanté ses beautés et maintenant que le Mur est tombé, que la Camarilla reprend ses droits sur l'Est, de plus en plus de Vampires se disent qu'il est peut-être possible d'aller s'y trouver un fief ou une position d'influence. Des bandes d'Anarchs et de Caïtiffs rodent toujours de-ci, de-là, mais les révolutions les ont à nouveau chassés dans les campagnes. Ils n'ont que ce qu'ils méritent... Maintenant, à vous d'aller récupérer les onces de pouvoir encore à distribuer.

Soudainement la Trabant ralentit, plus que d'habitude cette fois. Curieux, vous jetez un oeil par la fenêtre : on dirait un barrage de police, dans la nuit brumeuse et enneigée, c'est un peu difficile à dire. Les voitures passent au pas, les unes après les autres, entre deux hommes à l'aspect sinistre. Vous vous détendez, vous n'avez rien de remarquable...
Pourtant, au passage de votre voiture, l'un deux fait un signe au conducteur de conduire sur le côté. Un troisième homme ouvre votre portière et vous prie obligeamment – néanmoins, d'un ton qui ne tolère pas de résistance – de sortir de la voiture. Son regard vous transperce et le temps d'une seconde, vous apercevez ses crocs dans un rayon de lune. Il vous accompagne à bord d'une camionnette de police et vous emmène. A chaque tentative de questions, il secoue la tête et vous répond que vous en apprendrez plus plus tard.

Après une vingtaine de minutes, la camionnette s'arrête et les portes s'ouvrent devant vous. On vous fait entrer dans un bâtiment à la façade noircie et peu entretenue. L'intérieur par contre vous étonne, l'endroit semble cossu, bien illuminé. On vous conduit dans un bureau style Louis XIV, chose plutôt étonnante dans cette partie de l'Allemagne. Mais après tout, que se refusent les Vampires ?

Un homme d'une trentaine d'années, vêtu d'un costume gris et visiblement très ennuyé par votre présence, lève les yeux. Il vous jauge quelques instants, griffonne quelques mots sur  un carnet au bord de son bureau puis s'adresse à vous :
«  Bienvenue à Dresde. Les us et coutumes de notre belle ville obligent chaque nouvel arrivant à obtenir sa présentation au Prince par services rendus. Rassurez-vous, nous ne sommes pas très exigeants, nous en restons néanmoins très pointilleux sur cette règle. Chaque Caïnite refusant de s'y soumettre sera poliment escorté en dehors des limites et prié de ne pas y remettre les pieds. En attendant, vous serez logés et tenus à la disposition de vos compatriotes qui pourraient avoir besoin d'assistance dans l'une ou l'autre affaire... »

Il répond avec impatience à l'une ou l'autre de vos questions, prends note de votre identité puis sonne un majordome qui vous escorte en dehors de la pièce. A nouveau, on vous emmène dans une camionnette qui ne roule qu'une dizaine de minutes avant de vous déposer devant une bâtisse plutôt peu accueillante, mais de taille respectable. Le conducteur vous explique rapidement que deux autres nouveaux arrivants sont déjà installés là-bas, ils ont pour consigne – comme vous – de ne pas trop se marcher dessus, de ne pas sortir du quartier – dans lequel vous avez le droit de chasser – et de respecter la Mascarade. Si vous enfreignez une de ces règles, vous serez jugés et bannis. D'ici peu de temps probablement, quelqu'un vous contactera pour vous offrir un parrainage... En attendant, tenez vous à carreaux.